Licence To Kill – Russie, les voies de la démocratie sont-elles impénétrables ?
Le 28 février dernier, la Foreign Press Association London (Association des correspondants étrangers de Londres) a organisé une conférence sur l’avenir de l’opposition politique russe face au despotisme sanglant de Vladimir Putin alors que les prochaines élections présidentielles doivent se tenir du 15 au 17 mars 2024.

Le panel d’intervenants, modéré par Deborah Bonetti, comprenait :
- Marina Litvinenko, veuve d’Alexander Litvinenko et activiste. Alexander Litvinenko – ancien agent des services secrets russes spécialiste du crime organisé ayant fuit la Russie en 2000 et naturalisé britannique, lanceur d’alerte sur les agissements des services secrets russes, est décédé à Londres le 23 novembre 2006 des suites d’un assassinat par empoisonnement au polonium 210, meurtre attribué par la justice britannique et la Cours européenne des droits de l’homme aux services de renseignement russes sur l’ordre de Vladimir Putin.
- Vladimir Ashurkov, ayant fait carrière dans la finance et aujourd’hui directeur de la Anti-Corruption Foundation (Fondation contre la corruption). L’association, créée par Alexei Navalny en 2011 et financée par des apports privés, a pour vocation de dénoncer les agissements des certains hauts fonctionnaires de l’état russe. Déclarée extrémiste et hors-la-loi par le Ministère de la Justice russe en juin 2021, la fondation devenait un an plus tard une institution internationale sous l’impulsion d’Alexei Navalny, alors emprisonné.
- Ksenia Maksimova, ancien modèle de mode et aujourd’hui activiste à la tête de la Russian Democratic Society in London ( Société Démocratique Russe à Londres). Constituée d’immigrants russes au Royaume-Uni, cette communauté, qui se définit comme transformative, se dresse contre l’oppression exercée par le pouvoir russe, et défend le respect des droits de l’Homme, la justice sociale, et apporte son soutien aux personnes touchées par la guerre et la répression.
- Tom Keatinge, après vingt ans de carrière dans la finance, a rejoint le Royal United Service Institute (RUSI) en 2014, et est aujourd’hui directeur du Centre for Financial Crime and Security Studies (Centre d’études de la criminalité financière et de la sécurité).

Alexei Navalny, avocat, activiste et opposant politique de Vladimir Putin, est mort le 16 février 2024 alors qu’il servait une peine de prison de 19 ans dans la colonie corrective de Kharp en Lamalie, région arctique de la Russie. Sa mort soudaine, alors que la veille il était apparu certes fatigué mais toujours alerte lors d’une audience dans un tribunal, a soulevé de nombreuses interrogations au sein de la communauté internationale. La rétention du corps du dissident pendant près de deux semaines alors que sa famille en demandait la restitution ajoute aux soupçons d’assassinat par empoisonnement sur ordres du chef du Kremlin. Alexei Navalny avait déjà survécu à une tentative de meurtre par empoisonnement au novichok en 2020. Son enterrement a eu lieu le vendredi 1er mars 2024 à Moscou.
Alexei Navalny n’est pas le seul activiste et opposant politique de Vladimir Putin qui ait payé le prix de l’outrage au despote russe. Interdiction de prise de parole, suppression de la liberté, déportation, torture et assassinats sont devenus les leviers systématiques d’un pouvoir qui ne sait asseoir sa légitimité que par l’oppression. Les prisons sont pleines d’opposants politiques et de simples citoyens qui ont voulu exprimer leur désaccord, manifester leur soutien aux déportés, s’opposer à la guerre en Ukraine.
Les prochaines élections à la présidentielle russe auront lieu du 15 au 17 mars 2024. Trois candidats font face à Vladimir Putin – Nikolay Kharitonov (Parti communiste), Leonid Slutsky (Parti Liberal Democratic) et Vladislav Davankov (Nouveau Peuple) – mais totalisent moins de 15% des votes. Boris Nadezhdin (Russie Juste) a vu sa candidature refusée le 21 février 2024 sur la base de son opposition à « l’usage injustifié de la force militaire contre d’autres pays » dont la guerre en Ukraine et son souhait d’une coopération avec les pays occidentaux.
Alors que reste t-il de l’opposition politique russe face à Vladimir Putin, une mascarade de démocratie et une élection présidentielle courue d’avance ?

Marina Litvinenko rappelle que la mort d’Alexei Navalny n’est qu’une répétition du meurtre de son mari 18 ans plus tôt.
“Tuer est la méthode choisie systématiquement pour faire taire les opposants au régime de Vladimir Putin”.
À cette tragédie s’ajoute l’impossibilité de poursuivre en justice le commanditaire et les meurtriers puisque les faits ont lieu sur le territoire russe. La communauté internationale ne doit pas simplement s’émouvoir, insiste t-elle.
Les élections présidentielles ne sont qu’une mascarade de démocratie, souligne l’activiste, et ne peuvent être reconnues comme légitimes, tout comme la réélection courue d’avance de Vladimir Putin. Marina Litvinenko compare l’illégitimité de Vladimir Putin à celle de Aleksandr Lukashenko, à la tête de la Biélorussie depuis 1994.
Il est important de comprendre ce que l’on entend par opposition. Vladimir Putin est un adversaire retors qu’on ne peut se permettre de sous estimer, et l’intention doit être à la hauteur de l’ennemi. Et de poser la question “Qui saura unir les différents courants d’opposition qui existent aujourd’hui à l’extérieur de la Russie et en son sein, là où l’oppression est à son comble ?
Marina Litvinenko ajoute “Il importe peu d’être le premier à avoir raison si on n’est pas entendu”. Son époux, Alexander Litvinenko a tenté de dénoncer ce que le monde occidental ne savait voir d’une Russie qui s’enfonçait dans la corruption et manipulait les cartes géopolitiques. Il en est mort. Alexei Navalny aussi. D’autres, sur le territoire russe ou en exil, sont à risque de venir gonfler les rangs des victimes de Vladimir Putin. “Je ne peux qu’espérer que Loulia Navalnaïa soit enfin entendue par la communauté internationale”, conclue Marina Litvinenko.
“La société civile russe dans sa globalité reste novice en matière politique. Elle n’appréhende pas dans leur entièreté les notions de liberté d’expression et de choix politique conféré par des élections libres, de démocratie. La Russie n’a jamais été une démocratie. Elle en a à peine effleuré le concept, avant que Vladimir Putin n’en brise l’élan.”
Marina Litvinenko veut croire cependant que la société civile russe puisse trouver la voie de la démocratie, soutenue et guidée par ceux qui aujourd’hui ont la possibilité de s’exprimer car en dehors du territoire russe.
Vladimir Putin s’est tourné vers la Chine, l’Inde et l’Iran pour renforcer sa crédibilité internationale face aux nation occidentales. C’est aux risques et périls de ceux qui sont assez naïfs pour croire que Vladimir Putin est un allié de confiance, conclue Marina Litvinenko.
“Si vous faites des affaires avec Vladimir Putin, vous y perdrez vos plumes”

“Plus que le directeur de la Fondation contre la corruption, j’étais avant tout un ami et associé de longue date d’Alexei Nalvalny”, a tenu de souligner Vladimir Askukov au début de sa prise de parole.
Alexei Navalny et l’organisation qu’il avait fondée étaient de loin l’opposition la plus éminente au régime dictatorial de Vladimir Putin. Il était une véritable inspiration pour un grand nombre. Il représentait la voie vers une Russie plus juste dont l’opposition à la guerre en Ukraine faisait partie, rappelle Ashurkov.
La veuve de Navalny, Loulia Navalnaïa, s’est adressée à la communauté internationale à l’annonce de la mort de son époux et s’est engagée à reprendre le flambeau du combat d’une vie contre celui qu’elle désigne comme “un bandit qui a du sang sur le mains”.
Vladimir Ashurkov souligne que le danger n’est pas seulement pour le peuple russe et les citoyens russes qui sont aujourd’hui incarcérés sous prétexte de simplement oser protester, pour le peuple ukrainien qui se bat vaillamment contre l’invasion russe, pour la stabilité de l’Europe de l’Est, et du reste du monde.
“Les nations démocratiques ne prennent pas la pleine mesure du véritable risque que Vladimir Putin pour l’ensemble de l’humanité.”
À la question sur les motivations de Vladimir Putin pour le meurtre soudain de Alexei Nalvany, Vladimir Askurkov l’explique, avec prudence, en terme de cynisme du pouvoir russe. Des négociations en vue d’échange de prisonniers étaient en cours depuis plusieurs mois. Dans la liste des possibles se trouvaient le tueur à gages russe Vadim Krasikov incarcéré en Allemagne, le journaliste américain Evan Gershkovich arrêté par les autorités russes en mars 2023, et potentiellement Alexeï Navalny. Selon Askurkov, l’acceptation de la part des occidentaux d’un possible accord entrevue par les autorités russes les aurait amenées à assassiner Alexeï Navalny pour proposer un nouvel arrangement puisque le détenu n’était plus “disponible” et à montrer ainsi qu’elles gardent les cartes main.

Ksenia Maksimova a commencé par rappeler que nombreux sont les russes expatriés, vivant aux quatre coins du globe, qui s’opposent à la guerre en Ukraine et dénoncent l’absence de démocratie en Russie. Il lui apparait crucial que l’ensemble des forces d’opposition à Vladimir Putin discutent et s’unissent en une coalition sans faille face au dictateur, et trouvent par la même occasion une légitimité dans les discussions menées avec la communauté internationale pour structurer une réponse forte aux déterminisme tyrannique du dirigeant russe.
Il est aussi vital d’apporter un soutien à ceux qui sont aujourd’hui incarcérés dans les cachots russes, dont certains sont dans des conditions comparables à celles endurées par Alexei Navalny, et que des solutions d’échanges politiques soient envisagées avant qu’il ne soit trop tard.
L’ opposition existe sur le territoire russe, mais la répression est féroce : En mars 2022, Alexandra Skotchilenko est arrêtée chez elle après avoir remplacé cinq étiquettes de supermarché par des messages contre la guerre en Ukraine et est condamnée à 7 ans de prison pour « diffusion publique de fausses informations sur l’utilisation des forces armées russes ». Le décompte des arrestations depuis le début de la guerre en Ukraine est vertigineux. Ksenia Maksimova reconnait qu’il est impossible de mettre plus en danger le population russe ainsi opprimée, ne doutant pas un instant qu’une manifestation de grande ampleur se finirait dans un bain de sang. Ce sont les russes de l’étranger, ceux qui ont pu fuir à temps – bien qu’il devienne de plus en plus difficile d’être russe émigré aussi (compte bancaires saisis, défiance et attaques physiques dans la rue, etc) – qui aujourd’hui se mobilisent pour trouver les moyens de contrer Vladimir Putin.
“Aucun gouvernement, personne ne nous paye pour contester la légitimité de Vladimir Putin. Nous le faisons gratuitement!”
Quant aux oligarques russes qui ne s’opposent en rien aux actions de Vladimir Putin et vivent toujours confortablement, malgré les sanctions sur les actifs russes à l’étranger, Ksenia Maksimova reconnait qu’il est très difficile de les mettre sous le feu des projecteurs mais que toute tentative de le faire contribue “à les rendre nerveux, à faire trembler le sol sous leurs pieds”. Et peut être à leur montrer une autre issue que celle proposée par le chef du Kremlin.

“Quand prendrons nous conscience que Vladimir Putin n’est pas un individu qui agit en respect des lois et règles auxquelles nous adhérons ?”
Il devient évident que le monde occidental et les démocraties reconnues comme telles ne peuvent se contenter d’agir comme en 2014 lorsque Vladimir Putin a choisi d’envahir la Crimée, à savoir simplement énoncer des sanctions et contentes d’elles-mêmes, de tourner le dos au véritable problème : celui d’un homme qui ne respecte rien et n’envisagera pas de simplement s’arrêter là.
À la question de savoir ce qu’il est possible de faire au regard des avoirs de la Banque Centrale russe d’une valeur de 300 milliards d’euros qui sont aujourd’hui bloqués au sein d’Euroclear à Bruxelles, il n’est plus possible de répondre que “c’est trop compliqué”. Aujourd’hui, ce qui fait la difference entre l’Ukraine regagnant sa liberté et la situation inextricable actuelle est le soutien que le monde occidental peut lui porter. La mise à disposition de ces fonds pour soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine pourrait faire toute la différence, et rétorquer que cela contrevient aux règles et lois semble totalement fallacieux face aux agissements d’un tyran qui ne respecte rien. “Nous devons agir de façon plus agressive, clarifier nos intentions”, insiste Tom Keatinge.
La volonté politique n’est pas à la hauteur des enjeux, regrette Keatinge. Les raisons avancées pour ne pas saisir les actifs russes aujourd’hui immobilisés ne sont pas valables, poursuit-il, et il en appelle à l’intégrité de l’ensemble des institutions financières pour endosser, comme elles ont su le faire lors des crises de 2008 et 2013, les risques de volatilité qui pourraient découler de l’utilisation de ces fonds en faveur de l’Ukraine.
“Pourquoi les oligarques russes ne sont ils pas mis à contribution dans la lutte contre Vladimir Putin ?” Parce qu’il serait naïf de croire qu’ils se sentent le moins du monde concernés par ce qui émeut le reste du monde, répond Tom Keatinge. Les sanctions contre les oligarques russes n’ont permis jusqu’à présent de ne saisir que cinq et quelques millions de dollars en faveur d’un soutien à l’Ukraine. Ceci ne représente qu’une goutte d’eau en comparaison des milliards qui sont en jeu.

Que nous prépare l’avenir ? Vladimir Putin a fait pour la Russie le choix de la guerre et de l’oppression plutôt que celui de l’essor économique. Vladimir Putin a fait le choix d’appartenir désormais à la longue liste des dictateurs, tyrans sanguinaires, et humains méprisables, s’octroyant de tuer ses opposants et enfonçant la nation russe dans des heures noires dont elle avait pourtant tenté de sortir. Les prochaines élections présidentielles russes n’en sont pas, encore une fois, peu représentatives de l’opinion publique acculée à la survie.
L’opposition au pouvoir russe actuel trouvera t-elle les voies de la démocratie ? Le poing et le drapeau blanc-bleu-blanc de la Russie Libre se lèvent de part et d’autre des frontières de la Fédération, et il se pourrait bien que les jours de Vladimir Putin soient comptés si les gouvernants des nations démocratiques se saisissaient enfin de courage, refusaient de reconnaître sa légitimité et de lui accorder la parole, et s’accordaient pour le mettre à terre.
**Photo de couverture : montage ©cécilefaure: Photo de foule ©antonkraev / Portrait officiel de Vladimir Putin 2024 /
