Génération Embarquée : un jeune parle aux jeunes de leur légitimité face à l’impératif écologique

Féris Barkat, âgé de 19 ans, est originaire de Strasbourg et étudiant à The London School of Economics (LSE) en politique et philosophie, à Londres. À travers une démarche scientifique et philosophique, il lance un cycle de conférences (la première vient d’avoir lieu à l’Université de Strasbourg) pour mobiliser ceux de sa génération et les plus jeunes. Son objectif est de proposer un nouveau discours, pour aider les citoyens à profondément changer leur regard et à se positionner dans ce qu’il appelle « la période la plus excitante et décisive de l’humanité ».
C14 – Associé au mouvement #LearningPlanet, vous vous êtes engagé dans un cycle de conférences s’adressant aux jeunes de votre âge. À en croire la couverture médiatique, ces derniers sont les premiers acteurs de la protection de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Est-ce tout à fait juste ?
Féris Barkat – #LearningPlanet [1] c’est une communauté qui met l’accent sur l’apprentissage et sur « l’empowerment ». L’idée est de donner les clés au plus grand nombre pour qu’il comprenne comment prendre soin de la planète. J’ai personnellement décidé de me lancer dans un cycle de conférences pour restituer ce que j’ai appris sans pour autant être un expert. J’essaye de donner une dimension humoristique et philosophique à un sujet tragique : la crise écologique. Face à la difficulté réelle de faire changer le regard sur l’écologie j’ai créé un discours que j’améliore constamment et qui vise à porter un récit qui suscite un élan de courage et un changement de paradigme.
Concernant la jeunesse, il y a en effet une prise de conscience importante des enjeux écologiques. Grâce à l’influence de Greta Thunberg et à sa médiatisation, une mobilisation s’est opérée. De nombreux jeunes activistes ont émergé de par le monde, et des collectifs étudiants ont permis de donner la parole à des experts sur les questions écologiques.
Cependant, sans nier les actions concrètes indéniables des jeunes, je pense qu’il est problématique d’en conclure que ma génération dans sa globalité est déjà bien informée. Cela risque de faire passer à côté de l’hétérogénéité de cette jeunesse et de la complexité du problème écologique.
La jeunesse n’est bien évidemment pas un groupe homogène. On retrouve d’ailleurs les inégalités sociales de la société au sein de cette mobilisation pour le climat. Le collectif Quantité critique [2] a mené une étude sociologique en 2020 et conclut que dans la composition sociale des marches pour le climat, les catégories socioprofessionnelles des cadres et professions intellectuelles supérieures était largement sur-représentées.
Outre cette précision, il faut à mon avis ne pas s’arrêter à la prise de conscience des jeunes mais véritablement continuer cette mission complexe et longue d’éducation aux enjeux environnementaux.
En effet, le sondage d’aout 2020 réalisé par l’IFOP et l’ONG ACTED auprès des Français de 15 à 35 ans [2], démontre la différence entre le fait d’être conscient et le fait d’être informé sur les enjeux écologique. 83% des jeunes interrogés sont préoccupés par les effets du dérèglement climatique qui ont déjà commencés à se faire sentir, mais malgré cet intérêt seuls 55% estiment être bien informés.
À considérer que toute la jeune génération est parfaitement au courant et va sauver le monde, je vois trois écueils majeurs qui se profilent.
Le premier est celui de passer à côté de ces jeunes moins informés.
Le second est celui d’un solutionnisme expéditif, car sans essayer d’appréhender et d’embrasser toute la complexité de ce problème existentiel, on ne peut pas aboutir à des propositions pertinentes. L’idée n’est pas d’attendre d’être un expert pour agir mais plutôt d’avoir l’humilité nécessaire pour s’assurer d’aller dans la bonne direction. Par exemple, un des freins fréquents à la démarche écologique que je constate est de penser que le problème est uniquement d’ordre climatique, en rapport au CO2 émis, sans questionner notre manière d’habiter l’espace et de cohabiter avec les autres espèces.
La crise écologique n’est pas un problème qui nécessite une solution simple et unique.
J’ai mis du temps à réaliser que c’est en fait une remise en question profonde de nos valeurs et de nos paradigmes. Une révolution axiologique doit être menée par la jeunesse et pour ça il faut l’accompagner dans sa compréhension des limites physiques de la planète et de nos liens d’interdépendance avec le reste du vivant.
Le troisième écueil que je constate, c’est cette tendance à reporter la faute sur la jeunesse en la tenant responsable de ses comportements ou de son manque de cohérence absolue. À l’instar de la sur-responsabilisation des consommateurs, on retrouve cette confusion entre le fait d’avoir certes une responsabilité mais de ne pas être pour autant responsable d’une situation.
En l’occurrence, il faut prendre en compte le contexte omniprésent de surconsommation et de reconnaissance sociale qui encourage les comportements irresponsables. Personnellement, c’est en me formant que j’ai appris à changer mon regard, à désapprendre certaines choses pour réaliser l’illégitimité de mes comportements au regard de l’urgence écologique.
La cohérence est un chemin personnel et pour l’encourager il faut accompagner la jeunesse en lui donnant des opportunités sans pour autant la déclarer responsable de la planète au nom d’une prise de conscience qui est en réalité très hétérogène.
C14 – L’agenda du Politique est bien souvent gouverné par l’horizon individuel et électoral. Si on y ajoute alors cette perception altérée de la véritable conscience écologique des jeunes citoyens, quels sont les risques encourus ?
Féris Barkat – Cette double tendance est très intéressante. On le voit, les engagements de neutralité des entreprises ou de baisse des émissions des pays sont à des échelles de temps qui ne responsabilisent pas ceux qui font ces déclarations aujourd’hui car ils ne seront surement plus aux commandes à ce moment-là. Parallèlement, j’ai le sentiment que l’idée véhiculée est que si les jeunes sont si engagés, conscients et formidables, alors on peut se permettre de ne rien faire aujourd’hui, car de toute façon ils vont rattraper la tendance et faire le boulot demain !
Donc sur cette dernière ligne droite, avant de franchir des points de bascule et de non retour (climat, biodiversité…), ce serait à ma génération de rattraper l’inaction de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir.
Cette déresponsabilisation est à mon sens très dangereuse car l’ONU alerte qu’il ne reste que 8 ans pour limiter l’élévation de la température mondiale moyenne à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, et que les États doivent être 7 fois plus ambitieux que leurs objectifs actuels, si l’on veut éviter les effets dévastateurs des changements climatiques aujourd’hui prédits et certains.
Nous faisons face à une contradiction alarmante. Nous savons qu’il faut agir maintenant pour éviter le pire, pourtant cette déresponsabilisation de nos dirigeants n’est pas compensée par un pouvoir réel de décision qui serait donné à ma génération maintenant.
Je me pose donc la question : sommes-nous donc contraints à n’être que des spectateurs ? Des spectateurs soi-disant responsables mais sans aucune responsabilité réelle ? Je le refuse.
Par conséquent, il faut que ma génération réalise son immense légitimité du fait qu’elle est directement impliquée par les décisions qui sont prises aujourd’hui.
Les échelles de temps étant relativement longues pour les décisionnaires d’aujourd’hui, l’inaction ou report de l’action d’aujourd’hui ne les affectera pas beaucoup dans leur lendemain.
Nous, les jeunes d’aujourd’hui, sommes plus que légitimes car si nous étions au pouvoir nous serions comparables à un pilote d’avion, chacune de nos décisions ayant un impact immédiat et direct sur le véhicule et ses occupants.
C14 – Et quelle est alors votre proposition ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le format et le contenu de vos conférences ? Envisagez-vous de vous adresser à un public plus jeune ?
Féris Barkat – Pour sortir de cette inaction je souhaite porter avec ceux de ma génération, et avec l’aide de tous ceux qui le veulent véritablement, un nouveau discours qui éduque et change profondément notre regard.
Au-delà des grandes phrases sur l’égoïsme de l’Homme, je crois que si certains n’ont pas encore réalisé, c’est la faute de ceux qui expliquent !
C’est pour cette raison que j’essaye de créer un discours cohérent, touchant, un peu drôle et qui embrasse modestement l’ampleur du problème écologique pour en tirer les enseignements nécessaires philosophiques.
Au regard des remises en question fondamentales que posent la crise écologique, on se doit de réfléchir aux meilleurs discours possibles.
Lors de ma première conférence à l’Université de Strasbourg en Janvier, j’étais très heureux de réussir à toucher plus de 150 jeunes qui ne s’intéressaient pas du tout à ce sujet en temps normal. Leur attention pendant 1h20 démontre qu’il ne faut en aucun cas oublier la forme avec laquelle on veut sensibiliser sur l’écologie.

Je veux rassembler un équipage, une génération qui doit prendre conscience qu’elle est embarquée dans quelque chose qu’elle ne maitrise pas mais que malgré tout, elle peut ramer. Sans être moralisateur, j’invite simplement à constater l’incompatibilité de nos sociétés avec la vie au sens large, des écosystèmes et de l’humain qui les partage avec les autres espèces.
En bref, l’humanité a besoin d’un nouveau récit écologique pour avancer et je veux que notre génération propose une nouvelle histoire. Une histoire pleine de sincérité qui déconstruit certaines choses pour in fine oser faire preuve de courage pour regarder en face cette période tragique mais aussi incroyable tant l’enjeux est immense.
Avec le réseau Génération Embarquée [4], je veux diffuser ce nouveau discours pour généraliser ce sentiment incroyable de se battre pour la vie de ceux qui vont nous suivre, de tout faire pour empêcher que le bateau coule, de ramer et surtout de ne pas avoir peur de prendre le gouvernail…
Je vis entre Strasbourg d’où je viens et Londres où j’étudie. J’espère pouvoir poursuivre ce cycle de conférences en France mais aussi au sein des universités britanniques et en partenariat avec des institutions telles que l’Institut Français ou des établissements d’enseignement du français (NdR : à bons entendeurs) à Londres.
[1] #LearningPlanete – https://www.learning-planet.org
[2] Quantité Critique est un collectif de chercheurs créé en septembre 2018 par Yann Le Lann, maître de conférence en sociologie à Lille. Il mène une analyse quantitative des mouvements sociaux actuels. https://twitter.com/Q_Critique
[3] Projet 1Planet4all : les jeunes et le changement climatique. Enquête menée par Internet auprès d’un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population française âgée de 15 à 35 ans, du 5 au 15 août 2020.
[4] Génération Embarquée – réseau en construction, à l’initiative de Féris Barkat qui invite les jeunes à le suivre et surtout à se joindre à lui pour porter ce discours auprès de cette jeune génération qui est la sienne. https://www.instagram.com/ferisbarkat/ Féris Barkat peut être joint à barkatferis [@] gmail.com