De l’abandon au renouveau – en conversation avec Cal Flyn, auteure de Islands of Abandonment – Life in a Post-Human Landscape



De l’abandon au renouveau – en conversation avec Cal Flyn, auteure de Islands of Abandonment – Life in a Post-Human Landscape

Bien qu’un sentiment de désolation absolue puisse transpirer du titre, le dernier livre de Cal Flyn est cousu d’espoir.

Avec un incroyable sens de la narration combiné à des recherches approfondies et à des références scientifiques, la journaliste et écrivaine écossaise emmène le lecteur dans des lieux insolites – des lieux abandonnés portant traces du passage de l’humain, où la nature trouve les moyens de reprendre ses droits.


C14 – Vous promenez le lecteur dans douze endroits précédemment habités ou utilisés par l’être humain, maintenant dans un état d’abandon absolu ou de transition. Comment avez-vous choisi ces lieux ? (En avez-vous visités plus ? Sur quelle base avez-vous fait votre choix ?) Que saviez-vous de ces lieux avant de vous y rendre et quelles difficultés d’accès avez-vous rencontrées ? (Nécessité d’autorisations, accords d’organisations, peur ou sentiment intrusion, etc.) ?

Cal Flyn – J’ai probablement visité 20 lieux dans l’espoir de les inclure dans le livre, mais pour une raison ou une autre, certains d’entre eux n’ont pas fonctionné. Je savais qu’il serait important que chaque chapitre présente non seulement l’histoire d’un lieu, mais aussi un problème plus important que ce lieu symbolisait d’une manière ou d’une autre. Ainsi, par exemple, dans le chapitre sur la ligne verte de Chypre, j’ai écrit plus largement sur les no-man’s lands venant servir, de manière perverse, de sanctuaires ou de refuges pour la faune. Les terres agricoles abandonnées estoniennes ont été le point de départ d’une discussion sur le potentiel de puits de carbone et de régénération des forêts sur des terres comme celles-ci, dans le monde entier. Je savais que je devais faire attention à ne pas revenir encore et encore sur le même problème ou la même histoire, il était donc important de garder une variété de sujets, d’un point de vue à la fois d’un géographique et conceptuel.

En termes d’accès, cela a varié énormément d’un lieu à un autre. En général, je n’ai pas eu beaucoup de chance pour faire des demandes officielles (à l’ONU, par exemple, dans le cas de la ligne verte de Chypre), alors je me suis rendue sur place et j’ai vu ce qu’il était possible de faire. À Verdun, par exemple, j’ai été frappée par une clairière clôturée dans les bois, entourée de barbelés. Je connaissais son existence, mais personne ne pouvait me dire où elle se trouvait, alors je l’ai retrouvée sur des images satellites à l’aide d’informations historiques, et quand je suis arrivée là-bas, il s’est trouvé qu’il y avait un trou creusé par un animal sous la clôture. À Paterson, New Jersey, et à Detroit, Michigan, je suis allé en compagnie d’explorateurs urbains qui savaient où ils allaient, bien que cela n’ait en aucun cas été sanctionné par les propriétaires.

En général, ces lieux n’étaient pas trop difficiles d’accès sur le plan physique, mais ils étaient difficiles à saisir d’un point de vue émotionnel ou psychologique – j’ai eu du mal à enfreindre les règles, même si vous avez peu de chances d’être pris. Il y a une forte pression sociale pour obéir aux panneaux d’interdiction d’intrusion, et on craint ce qui pourrait arriver si les choses tournent mal. Il y a aussi beaucoup de peur de l’inconnu ; une peur qui est souvent sans commune mesure avec le danger physique réel dans lequel vous vous trouvez. Être en compagnie d’autres personnes facilite les choses – on se donne du courage l’un à l’autre.

C14 – Le titre de votre ouvrage fait référence aux « îles » dans votre titre, bien que la plupart des endroits que vous décrivez ne soient pas des îles à proprement parler. Vous abordez ici le concept d’une île en tant qu’entité séparée du reste, développant ses propres espèces endémiques, potentiellement nouvelles. D’après vos observations et recherches, jusqu’où cela peut-il aller avant que les interactions avec l’extérieur deviennent inévitables et créent de nouvelles dynamiques ?

Cal Flyn – Tout est lié. Ainsi, les véritables îles sont toujours assiégées par des incursions d’espèces “extraterrestres” qui s’échouent sur leurs côtes, ou y volent, ou y sont emportées par le vent. Mais plus les iles sont éloignées des autres masses terrestres, plus la fréquence de ces arrivées est faible. Il en va de même pour toute ilot, au sens métaphorique; une île de terre en jachère assez proche d’une grande forêt, par exemple, est beaucoup plus susceptible de repousser sous forme de forêt qu’une île de terre en friche au milieu d’une ville dense, ou entre d’énormes champs de monoculture, car les sources de semences sont plus éloignées . Mais, avec le temps, d’autres espèces arriveront, même si ce n’est que très rarement. Parfois, ces espèces survivront et prospéreront et établiront de nouvelles populations sur cette petite “île”.

C14- L’humanité a tendance à se différencier des autres espèces et à se placer au sommet de l’arbre phylogénétique, agissant souvent comme un dictateur conduit par des illusions de divinité. Cela apparait de façon évidente puisque l’humain peut partir sans s’occuper de ce qu’il laisse derrière lui comme on le voit dans ces lieux abandonnés. Cela a également un impact sur la façon dont la nature reprend ses droits ou pourrait être ” influencée” à le faire. Quelle a été votre perception à ce sujet lorsque vous avez visité ces lieux ? 

Cal Flyn – Je pense que la principale leçon a été de comprendre pleinement, peut-être pour la première fois, que nous faisons partie de la nature.

Il nous faut admettre que la nature récupère et se régénère après la destruction humaine comme elle le ferait, disons, d’une éruption volcanique ou d’une autre force naturelle désastreuse. Pour les autres espèces, peu importe si les humains ont créé le désordre, tant qu’ils peuvent trouver un moyen d’y survivre. Par des processus de décomposition, de succession, de recolonisation, etc., les plantes et les animaux se réapproprieront l’espace à leurs propres conditions, sans nous. Mais cela peut prendre beaucoup de temps si nous avons laissé derrière nous un environnement très inhospitalier.

Donc, dans ce sens, cette prise de conscience m’a donné de l’espoir – que très peu des choses que nous avons faites à la planète sont vraiment irrémédiables, avec le temps. Ce que nous devons faire, c’est identifier ce qui est vraiment nocif, à long terme, comme les polluants organiques persistants (qui traîneront dans un écosystème, essentiellement, pour toujours) ou le changement climatique anthropique, et essayer d’éviter de causer des dommages permanents et irréparables.

Nous devons être de meilleurs citoyens sur cette Terre. En ce moment, nous sommes de mauvais voisins.


Cal Flyn photographiée par Nancy MacDonald ©CalFlyn 2020

C14 – Vous écrivez “La foi, en fin de compte, c’est ce à quoi se résume l’écologisme. La foi dans la possibilité du changement, la perspective d’un avenir meilleur – pour les pousses vertes des décombres, l’eau douce dans le désert. Et notre foi est souvent mise à l’épreuve. ” Les écologistes sont-ils des optimistes sans espoir ? Et si la nature doit reprendre ses propres droits quoi qu’il arrive, quelle importance alors si nous, en tant qu’individu et collectif, ne nous occupons finalement que de nos propres priorités sans tenir compte de l’impact épouvantable que nos actions peuvent avoir ?

Cal Flyn – De mon expérience personnelle, si certains écologistes sont optimistes, la plupart sont soit réalistes, soit pessimistes, poussés à l’action par de mauvaises nouvelles sur l’état de la planète. Je pense que nous trouvons tous la motivation de différentes manières, et j’ai vraiment besoin d’un sentiment d’espoir pour continuer à faire de mon mieux au quotidien, sinon je tombe dans le désespoir – les autres réagissent mieux que moi à la peur.

Mais je pense que, pour que chacun d’entre nous agisse de quelque manière que ce soit, nous devons avoir foi en nos actions, qu’elles peuvent faire une différence.

Écrire Islands of Abandonment m’a aidé à commencer à réfléchir sur le plus long terme :  ainsi le potentiel de régénération des forêts au cours des prochaines décennies, par exemple, me donne beaucoup d’espoir. Une grande partie de cette forêt repoussera d’elle-même ; nous ne devrions pas paniquer et créer de vastes plantations à l’échelle du paysage, car cela engendre ses propres problèmes. Mais nous devons protéger cette reprise naturelle, lui permettre de se réaliser. Il est bien sûr difficile de généraliser, chaque cas doit être considéré individuellement.

Mais nous, en tant qu’êtres humains, avons tendance à nous concentrer sur ce qui peut être fait maintenant ou dans les prochaines années.

Nous devons penser à plus grande échelle, à la fois géographiquement et temporellement.

Et nous devons comprendre que nous faisons partie d’un vaste réseau d’espèces, dont beaucoup ont des capacités et une “sagesse” que nous n’avons pas.

Nous devons nous demander : que pouvons-nous faire, et quelle part de cela pouvons-nous laisser à la planète, si nous laissons faire la nature ?


Publié pour la première fois en juin 2021, Island of Abandonment – Life on the Post-Human Landscape de Cal Flyn, est désormais disponible en anglais et en néerlandais, et le sera bientôt également en italien. Les formats disponibles sont relié, broché et livre audio.

Il est possible de commander l’ouvrage chez un des distributeurs directement à partir du site de l’auteure :

https://linktr.ee/IslandsofAbandonment

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