Montrer l’exemple : la place de la monarchie dans la société britannique moderne

Quelle est la place de la monarchie britannique à la veille des célébrations du Jubilé de Platine de la reine Elizabeth II ? La reine aura 96 ans le 21 avril 2022, cumulant 70 ans de règne, de travail à l’unité de la nation et de rigueur personnelle. Pourtant l’opinion est divisée, et les frasques de la famille royale sur les 20 dernières années contribuent à douter de l’avenir.
Une popularité qui s’effrite ?
En Octobre 2020, un sondage mené par YouGov, société internationale britannique d’études de marché et d’analyse de données sur Internet, révélait que à la question « Pensez-vous que la Grande-Bretagne devrait continuer à avoir une monarchie ou non ? », 67% des personnes interrogées souhaitaient voir la monarchie se poursuivre, contre 21% qui déclaraient leur préférence pour un chef d’État élu et 12% qui ne savaient pas. Pour ceux qui vivent à Londres, seulement 58% étaient en faveur de la monarchie. Et lorsque la question a été posée à la tranche d’âge 18-24 ans, le pourcentage est tombé à 42 %.
En Novembre 2021, la popularité de la royauté britannique s’effrite, avec seulement 54% des personnes interrogées se déclarant favorables à la monarchie. Et de façon évidente l’âge du sondé importe puisque si les 50-64 soutiennent à 63% l’institution, seulement 20% (contre 48% en juillet 2019) des 18-24 ans lui sont désormais favorables et identiquement 20% (contre 9% en juillet 2019) lui sont clairement opposés.
Qu’en est -il de la popularité de la reine ? D’après toujours un sondage réalisé par YouGov, Queen Elisabeth II est bien évidemment le personnage public le plus connu en Grande Bretagne, affichant un chiffre record de 96% des personnes interrogées sachant qui elle est. Sa popularité est presque aussi élevée, avec 76% de sondés qui déclarent l’apprécier, mais toutefois seulement 65% lorsqu’on s’adresse aux Millenials.
Et de la succession ? On est roi ou reine jusqu’à la mort. La question se pose malheureusement aujourd’hui en respect de l’âge avancé de la Reine, qui en cette année de son Jubilé de Platine, fêtera ses 96 ans le 21 avril prochain. En respect de la ligne directe de succession, c’est le Prince Charles qui devrait donc prendre la tête de l’État. Pourtant sa popularité, toute générations confondues, est bien moindre avec seulement 45% des personnes interrogées déclarant l’apprécier et seulement 34% estimant qu’il a les qualités en lui pour être un bon régent. C’est en fait son fils le Prince William, Duc de Cambridge et époux de Catherine, qui suit sa grand-mère dans les sondages avec 66% de popularité toutes générations confondues. Est-ce du fait de son épouse, la Duchesse de Cambridge, qui séduit par son maintien et son charisme ? Elle est dans le peloton de tête dans tous les sondages, affichant même 79% auprès des Baby Boomers et 68% chez la Génération X.
Plus que la controverse née de l’exil du prince Harry et de son épouse Meghan, ce sont depuis deux ans les déboires du Prince Andrew avec la justice américaine, face aux allégations d’abus sexuels sur mineur dans le cadre de son amitié avec Jeffrey Epstein, qui ont largement contribué à l’affaiblissement de la famille royale : 47% des britanniques interrogés le pensent.
En cette année du Platinum Jubilee, qui célèbre les 70 ans d’accession au trône de la reine Elisabeth II le 6 février 1952, le plus long règne de l’histoire britannique, la maison royale de Windsor a choisi de mettre une distance avec un de ses membres en bannissant le Prince Andrew des célébrations à venir, en lui retirant ses titres militaires, en lui interdisant d’utiliser le titre “Son Altesse Royale”, et en le contraignant à répondre de ses actes en tant que simple citoyen.
Pourtant, tout avait bien commencé pour la maison de Windsor, entrée dans le cœur du peuple britannique avec le roi George V.
George V – rapprocher la monarchie et le peuple

à Londres le 31 janvier dernier ©CécileFaure
Jane Ridley, historienne et biographe royale et professeur d’histoire moderne à l’Université de Buckingham, a publié George V: Never a Dull Moment (NdR : George V : jamais un moment d’ennui) chez Vintage Publishing en novembre 2021, et répondu aux questions des correspondants étrangers lors d’un Press Briefing organisé par la Foreign Press Association à Londres le 31 janvier dernier.
Cette biographie de George V, grand-père de Sa Majesté la reine Elisabeth II, a bénéficié d’un accès sans précédent aux archives de la maison de Windsor ainsi que de la capacité narrative unique de l’auteur à raconter la vie de ce monarque marquée par les événements dramatiques durant son règne, du 6 mai 1910 au 20 janvier 1936.
À l’âge de 45 ans, George V devient le roi-empereur, souverain de l’Empire britannique, à la mort de son père Edouard VII. En tant que prince de Galles (à partir de 1901) et pendant les 26 années de son règne, bien qu’il ait été décrit par beaucoup comme une figure calme, voire « ennuyeuse et étrangère » d’après l’écrivain H.G. Wells, il a fait preuve d’intelligence émotionnelle, en notamment invitant son épouse Mary à donner son avis sur les affaires de l’État et ses discours, en réformant l’accès à l’éducation dans la Marine, en militant pour une plus grande implication des dignitaires locaux dans le gouvernement de leur pays au sein des territoires du Commonwealth, en affirmant son aversion absolue pour la guerre et son amour pour son peuple.
“I have many times asked myself whether there can be more potent advocates of peace upon earth through the years to come than this massed multitude of silent witnesses to the desolation of war.”
Le roi George V au cimetière de Terlincthun, Boulogne, France le 13 Mai1922

La popularité du roi et de la maison royale a grandi grâce au soutien à la population affiché pendant les périodes difficiles.
En abandonnant le nom de la famille royale de Saxe-Cobourg-Gotha, dynastie allemande dont elle est, pour celui de Windsor en juin 1917, le roi George V répond au ralliement contre l’Allemagne et à la colère du public suite aux raids aériens allemands réguliers sur Londres, et en particulier à la tragédie de l’école primaire Mayflower dans laquelle dix-huit enfants périrent.
Des changements importants dans le positionnement de la famille royale par rapport au reste du peuple ont également contribué à sa popularité.
Elle est devenue plus accessible lorsque George V et son épouse ont décidé que désormais leurs enfants et descendants pourraient épouser des britanniques, des roturiers, et non pas seulement des membres de familles royales étrangères comme par le passé.
Avec la création de l’Ordre du Mérite de l’Empire britannique le 4 juin 1917, le roi George V souhaitait honorer tous ceux qui avaient contribué à l’effort de guerre en dehors des combats. Les gens ordinaires, les civils peuvent depuis recevoir une distinction pour leurs bons et loyaux services à la nation.
La monarchie se rapproche également de ses sujets en choisissant des moyens de communication nouveaux et modernes.
Le roi sort et se déplace dans les hôpitaux, les usines et les mines, rencontre son peuple là où il vit et travaille. George V institue ainsi ce que l’on nomme le Royal Walkabout, lorsque les membres de la famille royale rencontrent les gens ordinaires, échangent quelques mots et serrent même des mains.
Le jour de Noël en 1932, il adopte la radio pour la première fois dans un discours écrit par Rudyard Kipling, et ainsi pénètre au cœur de chaque foyer de la nation britannique et des territoires du Commonwealth.
“My life’s aim has been to serve as I might, towards those ends. Your loyalty, your confidence in me has been my abundant reward.”
Le Roi George V, le jour de Noël 1932
Entendre la voix du Roi le rend plus accessible, l’invite à la table et au salon. Le roi George V garde par la suite l’habitude de s’adresser ainsi à son peuple.

Il est devenu Grandpa England à la fois pour Lilibet (surnom de la reine Elizabeth II) et pour toute la nation. À sa mort, à l’âge de 70 ans, la foule s’est rassemblée pour le saluer une dernière fois – on estime que près d’un million de personnes se sont déplacées ce jour-là pour suivre en silence la procession à Londres, également retransmise à la radio et plus tard dans les cinémas.[1]
La reine Elizabeth II – montrer l’exemple
En 1952, à la mort de son père le roi George VI, Elizabeth va sur ses 26 ans, est mariée à Philip Mountbatten et déjà maman de deux enfants (Charles et Anne).

Elizabeth a suivi un enseignement privé à domicile. Comme le fait remarquer Jane Ridley, “Pour être reine ou roi il n’est pas nécessaire de suivre des études dans une grand école. Mais ce qui est important est de démontrer une véritable capacité de travail et d’exercer un soft power“. Elizabeth s’est impliquée dans la vie publique dès qu’elle a pu, à participé à la défense de la nation pendant la Seconde Guerre Mondiale en rejoignant les Auxiliary Territorial Service, le département de l’armée britannique créé en septembre 1938 et réservé aux femmes.
Pour son tout premier discours, la jeune reine Elizabeth choisit de suivre les pas de George V, s’adressant au peuple britannique depuis Sandringham, sur les ondes radios le jour de Noël 1952.
La télévision prend le relai à partir du 2 juin 1953, date du couronnement de la reine, et devient le principal media de communication de la royauté.
Pour que l’évènement soit suivi par le plus grand nombre, dès le mois d’octobre de l’année précédente, de nombreux investissements et projets ont été engagés pour la construction d’antennes de relai. Des licences collectives pour assurer une retransmission dans les lieux publics (hôpitaux, églises, mairies, théâtres, etc.) sont accordées. On estime que près de 20.4 millions de téléspectateurs suivirent ce jour-là le couronnement en direct, ajoutant aux quelques 10 millions écoutant leurs postes de radio et à tous ceux qui s’étaient déplacés pour l’évènement.
Depuis, le petit écran est devenu un instrument majeur de communication de la famille royale, atteignant tout un chacun, où qu’il soit, autant pour les évènements officiels que la mise en avant de moments plus intimes de la vie des membres de la familles royales (interviews, inaugurations et fameux Walkabouts).

Depuis son tout premier discours en tant que régente, Elizabeth II a fait siens les mots de son grand-père le roi George V, insistant sur l’importance de continuer à travailler en faveur de l’unité nationale au sein de l’Empire, par-delà les frontières du Royaume-Uni.
“But we belong, you and I, to a far larger family. We belong, all of us, to the British Commonwealth and Empire, that immense union of nations, with their homes set in all the four corners of the earth. Like our own families, it can be a great power for good – a force which I believe can be of immeasurable benefit to all humanity.”
Queen Elizabeth II on Christmas Day 1952
Au-delà du sentiment d’appartenance, la jeune reine fait aussi référence à l’apprentissage et à la science, pour le bénéfice de tous, de l’humanité et de la planète : « to use the tremendous forces of science and learning for the betterment of man’s lot upon this earth”.
La reine prend le relai de ses pairs, et se pose dès le début et tout au long de son règne comme leader par l’exemple quelques soient les écueils rencontrés par le pays (l’indépendance des colonies, les troubles en Irlande du Nord de 1969 à 1998, la partition du Canada en 1982, partition des pouvoirs exécutifs et législatifs au sein du Royaume-Uni, les relations compliquées avec l’Union Européenne, pandémie, etc.) ou au sein de la famille royale.

La notion de famille est en effet cruciale pour Elizabteh II, qui a souvent choisi de mettre en scène ses enfants puis ses petits-enfants. Mais les dissensions (divorces) et la mort soudaine de la Princesse Diana dans les années 1990, et l’apparente rigidité de la reine face à ces évènements, ont grandement modifié la relation du public à la famille royale.
Cependant, la reine a une très bonne appréhension de la manière de communiquer et de la puissance de l’image. Elle l’a démontré, au-delà de l’anecdote de ses choix vestimentaires, aussi et surtout dans sa manière de saisir l’opportunité de s’adresser au peuple via des supports médiatiques qu’il comprend : que ce soit d’accepter de son vivant la diffusion d’une série télévisée qui la rend plus accessible en faisant état de sa vie privée, de son règne et de l’héritage qu’elle laisse ; de sa participation au générique des jeux olympiques de 2012 aux côtés de Daniel Craig en James Bond pour « un saut en parachute » qui restera dans la mémoire de tous[2] ; ou au recours aux réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram.

Anniversaires, évènements familiaux et jubilés sont un autre moyen de célébrer la monarchie, et souvent de rassembler le peuple dans des moment difficiles.
Depuis son accession au trône, la reine Elizabeth II a célébré quatre jubilés – d’argent en 1977, d’or en 2002, de diamant en 2012, et de saphir en 2017, et se prépare pour son jubilé de platine qui sera fêté pendant un long weekend de quatre jours, du 2 au 5 juin, comptant ainsi sur un temps britannique plus clément que ce que la date réelle du 6 février pouvait laisser envisager[3].
La reine Elisabeth II est devenue en 2015 le monarque ayant régné le plus longtemps sur le Royaume-Uni, mais également la femme monarque ayant régné le plus longtemps tout simplement (pour être le monarque ayant régné le plus longtemps, il lui faudra battre le roi Louis IV qui régna 72 ans). Cela contribue certainement à sa popularité, désormais devenant à son tour, comme George V le fut en son temps, la « Grand-Mère » d’une nation.
La Maison Windsor – une entreprise familiale
La famille royale, c’est aussi une entreprise à part entière.
C’est devenu une marque au sens commercial du terme. Avant la pandémie du corona virus, on estime à près de 3.3 millions le nombre d’admissions dans les établissements royaux. Le montant total généré est évalué à environ 50 millions de livres sterling, auxquels s’ajoutent près de 20 millions issus de la vente de produits dérivés[4].

Dans un rapport[5]publié en 2017, Brand Finance, cabinet de conseil en évaluation de marques et d’entreprises, a estimé la valeur totale de la monarchie britannique à 67,5 milliards de livres sterling, dont 42 milliards représenteraient la contribution de la monarchie à l’économie britannique. En contrepartie, les coûts associés à la monarchie sont évalués à 292 millions de livres sterling, dont la majorité sont attribués à l’entretien du domaine immobilier, la masse salariale [6] estimée à 1133 employés [6] et les dépenses inhérentes aux déplacements d’un chef d’état.
Mais au-delà de l’aspect commercial, de la valeur économique de la monarchie britannique, l’aura de la reine Elisabeth II sur le plan national et international contribue encore aujourd’hui à la place de la Grande-Bretagne sur l’échiquier international, malgré les turbulences politiques liées au Brexit et à la déstabilisation d’un gouvernement qui perd en popularité (63% des britanniques disaient souhaiter que leur premier ministre démissionne d’après les derniers sondages de YouGov en date du 1er février 2022).

Qu’en sera-t-il après ? À cette question, l’historienne Jane Ridley répond que malheureusement elle ne sait pas ce que l’avenir apportera pour la nation britannique sous le règne du Prince Charles, aujourd’hui âgé de 73 ans. Il est le descendant en ligne directe de la reine, et malgré une opinion publique divisée en lien avec la vie et mort de la Princesse Diana, il a fait montre depuis de nombreuses années d’un véritable engagement envers deux sujets plus que jamais d’actualité, l’éducation au travers de The Prince’s Foundation et l’environnement avec le lancement du projet Terra Carta en janvier 2021 … ainsi que la plantation d’arbres prévue à l’occasion des festivités du mois de juin avec le projet du Queen Green Canopy.
Saura-t-il séduire et rassembler la jeune génération, et prouver que la monarchie britannique a encore un rôle à jouer face aux engagements du Royaume-Uni pour un futur soutenable, sans pour autant interférer avec l’exercice d’un pouvoir démocratique ?
Note : La monarchie britannique est une monarchie constitutionnelle depuis la Glorious Revolution de novembre1688 et le couronnement de William III et Mary II le 11 avril 1689. En cela, le monarque est le Chef de l’État mais doit rester politiquement impartial. Les lois, leur rédaction et leur adoption par vote, sont du ressort du Parlement, constitués de membres libres et élus. Le Parlement détient l’autorité légale suprême sur toutes les affaires de l’État, y compris les dépenses publiques et les taxes, la constitution d’une armée et toute déclaration de guerre, mais aussi le budget alloué à la royauté.
[1] The Funeral Of His Majesty King George V https://www.youtube.com/watch?v=qgJJbq8FvvQ&t=8s
[2] James Bond and the Queen London 2012 https://www.youtube.com/watch?v=1AS-dCdYZbo
[3] Les festivités du Jubilé de Platine https://platinumjubilee.gov.uk
[4] https://www.statista.com/statistics/373081/uk-royal-tourism-admission-numbers-by-establishment/