28 février 2022, cinquième jour de l’offensive des forces armées russes ordonnée par Vladimir Poutine contre la république d’Ukraine.
La couverture médiatique des combats et des tentatives de négociation est incroyablement prolixe. Qu’elle soit du fait de journalistes confirmés ou de reporters d’un jour qui se saisissent d’un téléphone portable, les images affluent et s’emparent de nos écrans. Si on a pris l’habitude de voir de Grands Reporters, portant casque et gilet pare-balles, au cœur des conflits armés, c’est un nouveau genre, celui de l’image au service de l’image, qui aujourd’hui transporte chacun d’entre nous au plus près des combats.
Trop d’information tue-t-elle l’information ? Il est certain que face à la multitude des sources, pour certaines brutes et sans contexte, d’autres à la limite de la théâtralisation et clairement mises en scène, il est crucial de prendre le recul nécessaire à l’analyse de la situation, à la compréhension des éléments qu’il est possible d’appréhender clairement, à la définition des besoins.

C’est dans ce contexte que Monseigneur Kenneth Nowakowski, archevêque des Catholiques d’Orient ukrainiens, biélorusses et slovaques au Royaume-Uni, et Iryna Terletska, Présidente de l’Organisation des femmes ukrainiennes au Royaume-Uni, ont accepté de rencontrer en ce dernier jour de février les journalistes et représentants de la presse étrangère à Londres afin de faire le point sur l’actualité d’un peuple plongé dans la guerre malgré lui, un peuple uni pour la défense de son pays mais qui appelle à l’aide la communauté internationale.
Combattre pour la Paix et la Démocratie
Si le président russe avait imaginé s’emparer de l’Ukraine comme de la Crimée il y a de cela huit ans, c’était sans compter sur la détermination et résilience du peuple ukrainien à défendre son territoire, et sur le soutien matériel des pays européens et occidentaux.
La table de négociations dressée aujourd’hui n’a pas aboutie du fait des exigences de Vladimir Poutine, et les bombardements russes ont redoublé, visant désormais les quartiers résidentiels des villes en première ligne. Il y a ceux qui ont pu fuir dès le début de l’invasion russe et ceux que l’on tente désormais d’évacuer, notamment les femmes et les enfants. Il y a ceux qui sont pris au piège des bombardements et se réfugient dans des abris improvisés que sont les caves et lignes de métro. Il y a ceux encore qui prennent les armes ou en confectionnent de fortune.
De l’avis de tous, la situation s’aggrave, tant sur le terrain physique que celui des pourparlers.
La déclaration de guerre de la Russie est le fait d’un seul homme, d’un homme seul, Vladimir Poutine. Âgé de presque 70 ans, il est depuis 1999 à la tête du pays le plus étendu au monde, réunissant une population estimée à 144 millions d’habitants et affichant en 2020 un PIB inférieur à celui de l’Espagne malgré sa position sur l’échiquier politique international.
Entre une pandémie qui a paralysé l’humanité pendant près de deux ans et l’urgence climatique qui semble le fait de tous les agendas de la scène internationale, l’autocrate déroute par son choix belliqueux et la menace nucléaire qu’il parait désormais brandir.
On pensait la guerre un état appartenant désormais au passé, n’étant que le fait de quelques pays en voie de développement ou d’un combat contre des extrémistes religieux.
Cet acte de guerre, qui laisse pantoise une humanité qui se croyait soudée face aux problèmes de l’urgence d’une planète en perdition de par sa faute, est le fait d’un homme seul, craint de ceux qui l’entourent, qui n’a rien à perdre, que la face. Cette donnée est certainement le point d’achoppement même de tout pourparlers. La coalition difficilement formée sous prétexte d’intérêts divergents, de calendriers politiques et de dépendance énergétique, n’a pas la même liberté de mouvements et de prise de décisions. La mise en œuvre de mesures coercitives prend du temps, trop de temps. Et clairement celles-ci ne suffisent pas à freiner la vindicte du dictateur russe.
Que disait Sun Tsu dans L’Art de la Guerre ? Vladimir Poutine semble aujourd’hui en maîtriser certains principes, de la duperie à la connaissance des faiblesses de ceux qui lui tiennent tête. La plus grande ? Probablement celle de penser qu’il n’osera pas…
Lorsqu’on lui pose la question, de savoir si la réponse des occidentaux aujourd’hui est adéquate, Iryna Terletska répond en deux temps.
Le peuple ukrainien ne peut qu’être reconnaissant du soutien qui lui est apporté par les pays occidentaux, mais c’est le manque de proactivité de ces mêmes pays qui a conduit à la situation actuelle. L’Ukraine subit des tentatives d’intimidation de la part de son voisin russe depuis de nombreuses années. En février 2014, l’annexion de la Crimée par la Russie était un signal d’alarme fort, et les pays occidentaux auraient dû intervenir alors. Leur manque de réactivité a clairement conforté Vladimir Poutine dans son bon droit de despote en mal de reconnaissance et ouvert la voie à son imaginaire d’une Grande Russie retrouvée.
Iryna Terletska ajoute être particulièrement émue par les témoignages de solidarité exprimés dès le premier jour de l’invasion russe. Le peuple ukrainien en a un grand besoin car il est malgré tout seul face à l’ours russe. « Le peuple ukrainien se bat aujourd’hui pour le droit à la paix et la démocratie, son droit mais aussi celui de tous !»
Mais au-delà du soutien témoigné, c’est d’une aide concrète et précise qui est requise
Définir et canaliser l’aide
La conférence donnée aux représentants de la presse étrangère se tient au sein de la Cathédrale Catholique Ukrainienne de Londres, dans le quartier de Mayfair, construite entre 1889 et 1891 selon les plans de l’architecte Alfred Waterhouse qui est à l’origine également du Musée d’Histoire Naturelle de la capitale britannique. Le lieu est emblématique.
L’archevêque Kenneth Nowakowski y rapporte l’incroyable affluence lors des messes tenues ce weekend et rappelle que le peuple ukrainien est un peuple foncièrement croyant. Plus de 80% de la population se déclare avoir une religion. Cet attachement religieux est d’autant plus important qu’il a été réprimandé pendant plusieurs décennies, entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et 1989 alors que l’Ukraine était sous le joug de l’Union Soviétique, et de ce fait devenu mouvement historique de résistance underground et est resté fort des leçons apprises de ce passé.

La mobilisation des ukrainiens du Royaume-Uni est incroyablement vigoureuse. Combien sont-ils aujourd’hui ? Une poignée en comparaison d’autres communautés, puisque les chiffres officiels recensent 35,000 ukrainiens installés sur le territoire britannique. C’est cependant sans compter ceux qui ont fui l’oppression soviétique et ont pris la nationalité du pays d’accueil. À la question du nombre, il est répondu une centaine de milliers. Mais tous se sont levés pour apporter leur aide à ceux qui sont au pays, une aide matérielle, financière mais aussi humaine.
L’archevêque, s’il ne peut encourager un engagement militaire, dit avoir accordé sa bénédiction à la demande de jeunes femmes et hommes, trentenaires pour la plupart, qui ont fait le choix de partir en Ukraine pour participer à l’effort de guerre. La démarche est individuelle, ne peut être qu’en accord avec la conscience de l’individu, insiste Iryna Terletska.
En Ukraine, ont été créées les unités de défense territoriale, composées pour la plupart d’infanterie légère. Elles effectueront des missions auxiliaires derrière les lignes de l’armée régulière. Selon les forces armées, il s’agit d’une organisation militaire à part entière plutôt que d’une organisation paramilitaire, constituée de volontaires âgés de 18 à 60 ans, avec peu ou pas d’expérience de combats armés. Quant à la question d’un possible engagement militaire de la part d’étrangers, la réponse est désormais claire : ils sont les bienvenus. Qui sont-ils ici au Royaume-Uni ? Il semble que pour le moment que les volontaires soient principalement d’origine britannique, polonaise, hongroise, iranienne et pour certains ex-militaires.
La mobilisation civile n’est pas moindre, Au-delà des messages de soutien, l’afflux de dons témoigne de la solidarité aux ukrainiens. L’archevêque s’était rendu le matin même dans un centre de tri organisé par la communauté polonaise. Les images retransmises par la BBC montraient des tas de vêtements, linge de maison, objets de première nécessité et jouets apportés, savamment triés par les volontaires et mis en sac prêts à être acheminés par voie terrestre vers les pays d’accueil des réfugiés.
Iryna Terletska rappelle que ces dons sont d’une nécessité absolue, mais doivent être porteurs de respect – les réfugiés ont besoin de couvertures, mais de couvertures propres et idéalement neuves. Et il en va de tout ainsi, et aussi de l’à propos du don. Les besoins en dans le domaine de l’hygiène et du médical sont très importants, mais ils doivent être canalisés. Donner une boîte de paracétamol est certes un beau geste, mais faire un don financier est plus utile car il contribuera à acheter ce qui est nécessaire et en gros, dont le paracétamol. En date du 28 février, on estime à 800,000 livres sterling le montant des dons en argent. Ils sont d’autant plus requis qu’ils permettent ainsi de financer la logistique d’acheminement des dons mais aussi de soutenir des organisations non gouvernementales telles que la Croix Rouge ou l’association caritative française AICM Ukraine https://aicm.eu/fr/.
L’aide doit aussi venir du politique. Boris Johnson s’est adressé aux paroissiens de la Cathédrale lors de la messe dimanche, et a promis que le Royaume-Uni ferait “tout ce qu’il peut pour aider économiquement, politiquement, diplomatiquement, militairement”. C’est la question des visas qui brule cependant toutes les lèvres. Priti Patel, ministre de l’intérieur, dit vouloir faciliter la venue des ukrainiens en Grande-Bretagne. D’une part les ukrainiens actuellement en visite au Royaume-Uni verront leur visa temporairement prolongé. D’autre part, ceux qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité habituels à l’attribution d’un visa mais passent les contrôles de sécurité et qui ont des membres de famille ressortissants britanniques ou ayant obtenu le Settled Status pourront venir au Royaume-Uni pendant 12 mois. Mais dans les faits, rien n’est aussi simple, et nombreux sont les ukrainiens installés au Royaume-Uni qui disent ne pas pouvoir faire venir leurs parents, que le système de visas est grippé.
Iryna Terletska insiste sur le besoin d’une pression de la population en général, sur le gouvernement britannique aussi qui promet mais reste frileux dans l’action, et brandit déjà le spectre d’une possible vague de submersion de réfugiés et l’infiltration de russes pro-Poutine parmi les déplacés. Iryna Terletska argue que la question des contraintes économiques et financières n’est clairement pas adressée dans son entièreté puisque les avoirs des oligarques russes, jusqu’à présents silencieux et ne s’opposant pas de vive voix à l’action du président Poutine, sont gelés mais restent dans les faits inaccessibles.
L’archevêque Kenneth Nowakowski et Iryna Terletska, représentants d’une communauté ukrainienne au Royaume-Uni, espèrent au travers de cette conférence accordée à la presse étrangère toucher le plus grand nombre, et jouer de ce que l’on nomme le soft power pour activer celui des peuples unis contre non pas les russes mais un homme hors propos, et forcer la paix et la démocratie retrouvée.