La Journée de la Terre, un jour… et tous les autres !

Le 22 avril dernier était célébrée la Journée de la Terre / EarthDay. De communications commerciales aux accents verdoyants aux déclarations activistes pour l’urgence climatique, le # a envahi les écrans ce jour-là.

Comment manquer cette date alors que le GIEC vient de rendre le troisième volet de son rapport sur le réchauffement climatique et l’objectif de 1.5C ; qu’il invite tout un chacun à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour réduire la consommation énergétique, pour promouvoir des énergies moins carbonées, pour réduire le gaspillage, notamment alimentaire.

Pourtant, #EarthDay est en fait passé inaperçu ou foncièrement par-dessus, aussitôt mentionné aussitôt remisé. Et d’entendre certains demander « C’est quoi EarthDay ? Ça sert à quoi ? ». Mais comment leur en vouloir quand chaque jour de l’année est un jour consacré, pas seulement aux saints du calendrier chrétien, mais aussi à une célébration pétitionnée. Il suffit de taper dans un moteur de recherche « journée de » pour tomber sur la liste exhaustive de l’année en cours[1].

Pourtant, quoi de plus naturel que de célébrer notre paroisse qu’est la Terre, si précieuse et totalement unique. Nos ancêtres le font depuis que le feu a réchauffé les grottes. Et surtout de la respecter, de la protéger. Sur ce vaisseau, le seul habitable dans notre univers, que nous partageons avec d’autres qui étaient là avant nous et depuis bien plus longtemps, il est impensable de croire que nous pouvons faire abstraction du respect des règles de colocation et cohabitation.

Agir ou Mourir

« Ce n’est pas seulement une question de survie, mais bien une question de comment nous survivons ! Je ne pense pas qu’il y ait une autre question prise dans son sens le plus large qui soit plus critique pour l’humanité que celle de la qualité de l’environnement dans lequel nous vivons.’ […] “La bataille pour restaurer une relation appropriée entre l’homme et son environnement, entre l’homme et les autres créatures vivantes, exigera un engagement politique, moral, éthique et financier soutenu sur la durée bien au-delà de tout engagement jamais pris par aucune société dans l’histoire de l’homme. En sommes-nous capables ? Oui. Sommes-nous disposés à nous y atteler ? C’est là la question sans réponse.”[2] sont les mots prononcés par Gaylord Nelson, alors sénateur du Wisconsin (USA), le 22 avril 1970.

Gaylord Nelson (1916-2005), avocat au barreau, entre en politique à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, devient gouverneur de l’état du Wisconsin à l’âge de 42 ans puis entre au Sénat des États-Unis en 1962. Fervent défenseur des droits de l’homme et de la cause de l’environnement, et de l’impact de sa dégradation sur la qualité de la vie des hommes, en 1963, il convainc le président John F. Kennedy de la pertinence d’une tournée à travers les états pour adresser la question. Mais c’est sans compter sur la priorité que représente alors la politique internationale. Il lui faut attendre 1969 pour trouver la voie de la parole, celle du peuple, celle des étudiants, inspirée des manifestations contre la guerre du Vietnam.

Aidé de l’activiste Denis Hayes, alors âgé de 26 ans, en charge de la coordination, il lance le tout premier Earth Day dans le cadre de conférences universitaires le 22 avril 1970. Pourquoi cette date ? Parce qu’elle supposait alors une participation étudiante maximale puisqu’entre les vacances de printemps et le début des examens de fin d’année.

Earth Day, 22 avril 1970 – Crédit photo ©University of Michigan

Le message est clair : « Act or Die »[3]. Le succès dépasse les espérances. Face aux évidentes questions de pollution (de l’industrialisation sauvage aux catastrophes environnementales) qui affectent la vie de tous, beaucoup se mobilisent, nombreuses sont les actions – de démonstrations dans la rue aux campagnes de ramassages. L’Agence de Protection de l’Environnement est créée le 2 décembre 1970. Des lois pour la protection de l’environnement et de la qualité de vie (santé et sécurité, qualité de l’air et de l’eau ; protection des espèces en danger ; utilisation des fongicides et insecticides, etc.) sont également votées.

C’est en 1990, que le mouvement prend son envergure internationale sous l’égide de Denis Hayes, qui participe à l’organisation d’évènements dans 141 pays mobilisant près de 200 millions de personnes. Les prémices d’une collaboration internationale pour adresser la question de la durabilité dans les domaines de l’énergie et de la gestion de l’eau, de transformation des modes de production et de la question du changement climatique, en découle et donne naissance au premier Sommet de la Terre, organisé à Rio de Janeiro au Brésil par les Nations Unies en juin 1992.

United Nations Conference on Environment and Development, Rio de Janeiro 3-4 Juin 1992 – Crédit Photo ©UN

Dix ans plus tard, à l’orée du nouveau millénaire, une nouvelle campagne est lancée. Elle réunit alors près de 5000 associations pour la protection de l’environnement à travers 184 pays. Le déploiement de l’outil numérique devient un support idéal pour toucher et mobiliser le plus grand nombre, et manifester auprès des gouvernants le poids de la question environnementale dans l’intérêt général.

Depuis, sous la gouvernance de l’organisation EARTHDAY.ORG[4], le 22 avril est plus que jamais une journée de mobilisation pour la protection de l’environnement, de la santé et des moyens de subsistance qui en dépendent. Et cela passe par une action collective qui ne peut être sans l’engagement individuel, qui lui-même repose sur l’éducation de chacun aux questions climatiques, environnementales et civiques. 

Investir dans notre planète 

Le 22 avril 2022, le thème choisi par l’organisation était #InvestInOurPlanet. 

Face à l’urgence climatique et aux impératifs d’action immédiate pour atteindre les objectifs établis par Les Accords de Paris de 2015 (COP21), l’investissement de tous pour tous s’envisage sur plusieurs fronts. « Act or Die » résonne plus que jamais !

Le temps de sonner d’alarme est dépassé depuis longtemps. Le futur, celui dans lequel les jeunes générations d’aujourd’hui et celles de demain pourront vivre, au-delà de survivre, commence aujourd’hui. Et ce futur-du-présent repose sur l’action, l’innovation et la mise en œuvre de solutions équitables.

C’est le secteur privé, soutenu par un engagement des gouvernances publiques, qui apparait comme le principal vecteur du changement. L’innovation et l’adoption de pratiques durables sont les garantes d’une prospérité de long terme.

We are fashion revolution. we are you, Défilé de mode sur Orchard Road, Singapour – Crédit Photo ©FrançoisLeNguyen

De nombreuses études[5] mettent en évidence les changements qui s’opèrent dans le monde de la finance d’entreprise et des investisseurs institutionnels, qui incluent dans leur analyse les critères de RSE.

Et les entreprises intègrent désormais ces critères dans la présentation de leurs résultats, tant pour répondre aux exigences de leurs actionnaires que celles des investisseurs futurs, mais aussi à celles de leurs clients et du consommateur final. La multiplication des campagnes de communication, parfois clairement à la limite de l’écoblanchiment, soulignant le choix durable de telle ou telle entreprise en est un parfait exemple.

Effet de l’intérêt économique que représente notre environnement en perdition ? La mise en finance de l’environnement et le développement d’outils financiers tels que :

  • Les produits dérivés climatiques permettant aux entreprises énergétiques de s’assurer contre les aléas climatiques ;
  • Les produits obligataires (obligations « vertes ») pour financer la transition écologique ;
  • La réduction de l’empreinte carbone de l’investissement financier qui « verdit » les portefeuilles en préférant les entreprises privilégiant la durabilité ;
  • L’essor de labels et de propositions « verts » de la part d’intermédiaires prescripteurs.

La controverse n’est pourtant pas loin, la critique suit, car le rendement du capital investit, quoi qu’il en coûte, semble in fine parfois l’emporter sur les bonnes intentions initiales… notamment dans le cadre des obligations-catastrophe.

« Ce nouveau marché de la catastrophe risque de créer de nouvelles inégalités. Tant que ce marché reste profitable, qui sera finalement protégé si les investisseurs définissent eux-mêmes les risques environnementaux acceptables ? », conclue Sara Angeli Aguiton[6], chercheuse au Centre Alexandre-Koyré (EHESS, CNRS, MNHN).

L’individu est-il vraiment au fait des solutions qui se présentent à lui ?

La répétition est la mère de l’éducation. Répéter à l’infini, inviter à réfléchir, à repenser ses options et ses gestes, pour que la sensibilisation aux problèmes devienne automatisme des choix.

Au Royaume-Uni, le quotidien Financial Times invite le lecteur à participer en ligne à un jeu éducatif pour la promotion d’un futur vert[7]. Quatre conseillers virtuels sont là pour expliquer comment réduire l’empreinte carbone individuelle : la jeune activiste qui explique les choix de comportements, l’homme d’affaire qui influence la sphère politique, la femme entrepreneuse qui promeut l’innovation, la politique qui initie le changement.

Financial Times Climate Game – Saisie d’écran

On notera cependant l’absence du scientifique virtuel, ce scientifique qui pourtant a donné l’alarme et continue d’apporter les éléments de preuve irréfutable de l’urgence dans laquelle l’humanité se trouve. Fait de nos sociétés occidentales dans lesquelles le sage qui porte la connaissance intrinsèque n’est plus vecteur de confiance et écouté ? 

Pourtant, il est bien présent le scientifique qui sait de quoi il parle : David Attenborough, promu Champion de la Terre par les Nations Unies le 21 avril dernier, et ses documentaires qui font rêver le spectateur toute générations confondues ; Mark Marslin[8], professeur à UCL (London) et auteur d’ouvrages de vulgarisation qui lui ont valu la reconnaissance de ses pairs… En France ? Le CNRS en témoigne : « Les scientifiques font feu de tout bois pour trouver des solutions aux crises environnementales. Sans croire aux remèdes miracles, ils prônent la mise en place de mesures déjà à notre portée. »[9] :

  • Accélérer la transition vers des modèles énergétiques rejetant moins de CO2 en favorisant le développement de technologies «propres » telles que le solaire, l’éolien, l’hydraulique, le marée-moteur, etc.
  • Capter une partie du CO2 émis en reboisant les terres et les côtes, en adaptant les pratiques agricoles
  • Favoriser les solutions de recyclage et réutilisation, les principes de l’économie circulaires
  • Créer une culture commune autour de la protection des espèces et de la biodiversité 
  • Mobiliser la société pour combattre la pollution plastique, celle des sols et de l’eau, et passer par des mesures coercitives (pression législative et économique) pour atteindre les objectifs

Quant à elle, l’organisation EARTHDAY.ORG liste près de 52 actions[10] à la portée de l’individu que chacun peut adopter pour participer au mieux-être de tous pour tous sur la seule et unique planète qui est la nôtre. 

L’humanité en harmonie avec la nature

La Journée de la Terre… et de la Nature, la Journée de Mère Nourricìere. C’est ainsi que l’organisation des Nations Unies célèbre le principe d’une humanité en harmonie avec l’environnement [11] le 22 avril, depuis son adoption en 2009 par l’Assemblée Générale des Nations Unies.

« Il s’agit de la première Journée de la Terre Mère célébrée dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour la Restauration des Écosystèmes[12]. Les écosystèmes soutiennent toute forme de vie sur la Terre. Plus nos écosystèmes sont sains, plus la planète et ses habitants sont en bonne santé. La restauration de nos écosystèmes endommagés contribuera à mettre fin à la pauvreté, à lutter contre le changement climatique et à prévenir l’extinction massive. Mais nous ne réussirons que si chacun joue un rôle, y participe.

Pour cette Journée internationale de la Terre Nourricière, rappelons-nous – plus que jamais – que nous devons passer à une économie plus durable qui fonctionne à la fois pour les personnes et pour la planète. Favorisons l’harmonie avec la Nature et la Terre. Rejoignez le mouvement mondial pour restaurer notre monde ! »[13]

Au-delà de ce qui peut paraître une déclaration de bonnes intentions, le travail de l’organisation a concrètement pris la forme de résolutions adoptées au cours des ans et de lois promulguées dans le cadre des Droits de la Nature (Rights of Nature) fondés sur la reconnaissance que l’Humanité et la Nature partagent une relation fondamentale et non anthropocentrique compte tenu de notre existence commune sur cette planète. Ces lois sont entrées dans les constitutions et la jurisprudence de 30 pays signataires.

Ainsi, pour exemple, dans le cadre de la France :

  • Le 10 juillet 2018, une proposition de réforme  de la Constitution (1958) et la Charte de l’environnement (2004) comprenant plus de 20 amendements portant, entre autres, sur les droits des vivants, le bien-être animal, les biens communs mondiaux, le crime d’écocide et le principe de régression non environnementale 
  • Le 6 avril 2016 2016, les îles Loyauté, partie du territoire français de la Nouvelle-Calédonie, habitée à 90% par des Kanaks, ont adopté une première phase de leur Code de l’environnement par lequel certains éléments de la Nature peuvent être reconnus à part entière.
  • Le 29 juillet 2021, en Corse, une coalition regroupant le collectif Tavignanu Vivu, UMANI et Terre de Liens Corsica-Terra di u Cumunu, assistée de Notre Affaire à Tous, a lancé une Déclaration des droits du fleuve Tavignanu. La Déclaration, une première en France et endossée par les citoyens, les autorités locales et les députés européens (MPE) vise à recueillir le soutien d’un référendum local sur le statut de la rivière Tavignanu. 

Crédit Photo ©FilipUrban

La prise de conscience et l’éducation aux bons gestes restent le fer de lance de l’organisation qui n’est pas avare d’information, de recommandations et d’initiatives individuelles et collectives pour la restauration des écosystèmes, invitant chacun d’entre nous, organisations et individus, à se saisir des outils qui feront de nous les acteurs du changement[14], tous les jours de l’année.


[1] https://www.journee-mondiale.com/les-journees-mondiales.htm

[2] Traduction de la rédactrice – “It is not only an issue of survival but an issue of how we survive! I don’t think there’s any other issue viewed in its broadest sense which is critical to mankind as the issue of the quality of the environment in which we live” […] “The battle to restore a proper relationship between man and his environment, between man and other living creatures will require a long sustained political, moral, ethical and financial commitment far beyond any commitment ever made by any society in the history of man. Are we able? Yes. Are we willing? That’s the unanswered question.”, extract from speech given by Gaylord Nelson, Senator of Wisconsin, USA, on April 21st, 1970. 

[3] CBS News Report Earth Week 1970 – https://www.youtube.com/watch?v=WbwC281uzUs&list=PL3480E41AA956A42B&t=19s

[4] www.earthday.org

[5] The Investor Revolution, Harvard Business Review, May-June 2019 – https://hbr.org/2019/05/the-investor-revolution

Mid Cycle Investing: Time to Get Selective, Pimco, 2021 – https://europe.pimco.com/en-eu/insights/economic-and-market-commentary/global-markets/asset-allocation-outlook/mid-cycle-investing-time-to-get-selectiveLa

La RSE devient un enjeu majeur de la finance d’entreprise, Les Echos, novembre 2021 swww.lesechos.fr/thema/daf-2021/la-rse-devient-un-enjeu-majeur-de-la-finance-dentreprise-1363924

[6] La fortune de l’infortune. Financiarisation des castastrophes naturelles par l’assurance, Sara Angeli Aguiton, Zilsel 2018

[7] The Climate Game — Can you reach net zero by 2050?, Financial Time, 21 April 2022 – https://ig.ft.com/climate-game/

[8] Global Warming 2004 ; Climate Change 2014 ; The Cradle of Humanity: How the changing landscape of Africa made us so smart 2016 ; The Human Planet: How We Created the Anthropocene 2018 ; How To Save Our Planet: The Facts 2021

[9] La Science au chevet de l’environnement, CNRS, février 2020 – https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-science-au-chevet-de-lenvironnement

[10] 52 actions and tips to make a difference, EarthDay.org – https://www.earthday.org/earth-day-tips/

[11] http://www.harmonywithnatureun.org

[12] https://www.decadeonrestoration.org

[13] Traduction de la rédactrice – “This is the first Mother Earth Day celebrated within the UN Decade on Ecosystem Restoration. Ecosystems support all life on Earth. The healthier our ecosystems are, the healthier the planet – and its people. Restoring our damaged ecosystems will help to end poverty, combat climate change and prevent mass extinction. But we will only succeed if everyone plays a part.

For this International Mother Earth Day, let’s remind ourselves – more than ever – that we need a shift to a more sustainable economy that works for both people and the planet. Let’s promote harmony with nature and the Earth. Join the global movement to restore our world! “, UN, 22/04/2022

[14] IUCN Community Organising Toolkit – https://www.iucn.org/sites/dev/files/content/documents/iucn_community_organizing_toolkit_on_ecosystem_restoration.pdf