Bio-sécurité : enseignements et propositions post-Covid-19

Bio-sécurité : enseignements et propositions post-Covid-19

Sommes-nous mieux équipés pour faire face à la prochaine pandémie ou urgence sanitaire ?

Le jeudi 13 octobre 2022, Angela Kane, vice-présidente de l’Institut international pour la paix et chercheur principal au Centre pour le désarmement et la non-prolifération à Vienne (Autriche), et Dr. Wilmot Godfrey James, chercheur à l’ISERP de l’Université de Colombia (Etats-Unis), intervenaient sur la question dans le cadre d’une série de conférences organisées par Adam Habib, directeur de l’Université SOAS (The School of Oriental & African Studies) de Londres (Royaume-Uni).

De gauche à droite : Adam Habib, Dr. Wilmot Godfrey James PhD, Angela Kane – CréditPhoto ©CécileFaure

“Il semble que l’adage selon lequel c’est en temps de crise que l’on se révèle dans son entièreté s’applique aussi aux sociétés. (TdR)” souligne Adam Habib.

La pandémie du Covid-19 a démontré un écart fondamental et de grandes disparités dans l’appréhension de l’urgence sanitaire par le monde scientifique et par le politique, Politikos, la gouvernance des choses du peuple.

La gestion de l’épidémie a révélé de profondes fractures entre les nations alors – la Chine a été accusée de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour contenir un virus aux origines inconnues ou suspectes ; la débâcle de l’Italie a été observée par les états limitrophes comme preuve de son inorganisation au lieu d’en tirer des enseignements immédiats ; l’Afrique du Sud s’est retrouvée au ban des nations lorsqu’elle les a avisé de l’emergence du variant omicron pourtant déjà présent hors de ses frontières ; la rétention des stocks de vaccins entre les pays riches au détriment des pays moins fortunés a favorisé la dispersion du virus et l’apparition de nouveaux variants, etc. – et l’urgente nécessité de mise en place d’accords et procédures permettant une meilleure coopération dans l’éventualité d’une prochaine urgence sanitaire, qu’elle soit d’origine naturelle ou humaine.

Pourquoi la bio-sécurité est-elle fondamentale ?

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la sécurité mondiale de la santé publique comme l’ensemble des activités requises, à la fois proactives et réactives, visant à minimiser le danger et l’impact des événements critiques de santé publique mettant en danger la santé des personnes dans les régions géographiques et au-delà des frontières internationales.

Cela inclut les menaces biologiques qu’elles soient accidentelles ou intentionnelles, la gestion des progrès scientifiques et technologiques en biosciences et les risques associés, et la réduction du risque de catastrophe biologique à l’échelle mondiale. Ces risques résultent de l’existence d’agents biologiques à l’origine de désastres si soudains, si extraordinaires et si étendus qu’ils s’avèrent impossible pour le secteur public ou privé d’y faire face seuls.

Les conséquences d’une telle occurrence sont multiples, tant en termes d’impacts de long terme sur la santé et la mortalité des populations affectées, que sur l’économie et la stabilité sociale des pays, l’apparition de conflits et la sécurité à l’échelle internationale.

Rajat Khosla, Directeur de l’Institut international pour la santé mondiale de l’Université des Nations Unies, rappelle que la question de la bio-sécurité est l’affaire de tous. La pandémie du Covid-19 a mis en évidence la nécessité de mise en place d’une collaboration entre les états, mais aussi la disparité dans le traitement de la bio-sécurité d’un état à l’autre, et notamment sa quasi inexistence dans de nombreux pays de la région Asie-Pacifique.

Une coopération entre les états a été adressée récemment évoquant par exemple la mise en place d’accords de partenariats tels que la surveillance du risque biologique au sein des aéroports, le développement de programmes d’éducation et de formation, ou encore la mise en place de procédures communes d’évaluation d’un risque potentiel et d’actions requises en cas d’occurrence de celui-ci.

“Il est temps d’agir maintenant. La collaboration, la coopération et le partenariat à l’échelle mondiale sont les maîtres-mots d’une entente mondiale pour une efficacité assurée.” insiste Rajat Khosla.

Propositions de mécanismes de coopération et réponse collective

Pour rappel, la pandémie du Covid-19 a engendré plus de 6 millions de décès et plus de 525 millions de personnes ont été infectés de part le monde. Si la mortalité, le nombre d’infections et de personnes touchées directement ou indirectement par le virus est moindre qu’aux moments les plus critiques de la pandémie, celle-ci reste d’actualité.

Graph1 Mortalité mondiale / Graph2 Nouveaux Cas – Données : OurWorldInData en date du 14/10/2022

Au-delà de l’impact sanitaire, les conséquences sont sans équivoques sur les sphères économique et sociales, et les pertes engendrées de plusieurs milliards sont encore difficiles à évaluer aujourd’hui.

Cette pandémie a mis en évidence l’absence absolue de préparation des gouvernements et des instances internationales, et souligne notre vulnérabilité à tous.

Le rapprochement avec la pandémie de la “Grippe Espagnole” de 1918, qui aurait emporté plus de 100 millions d’individus d’après des estimations revues à la hausse en 2020 (contre précédemment de 20 à 50 millions selon l’Institut Pasteur) montre que nous n’avons pas su profiter des enseignements du passé, ni plus récemment des évènements épidémiologiques du SARS, du H1N1 (virus identique à celui de 1918) ou de l’Ebola.

La globalisation des échanges et des transferts de populations, et la dégradation de l’environnement conséquente à l’activité humaine, participent aussi de ces phénomènes épidémiologiques et de leur diffusion au niveau pandémique.

Les avancées technologiques dans les sciences et biosciences à travers le monde ont un potentiel phénoménal d’apport de solutions en termes sanitaires, de développement économique ou de protection de l’environnement. Elles comportent aussi cependant un élément de risque certain lorsque mal contrôlées ou utilisées, et aux conséquences potentiellement aussi, voire plus, dramatiques que celles de la Covid-19.

Lorsqu’en mars 2020 l’épidémie du coronavirus est clairement devenue une menace pour tous, il n’existait alors aucune convention internationale d’évaluation scientifique systématique du phénomène. Ce n’est que trois mois plus tard que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a demandé la mise en place d’une collaboration à l’échelle mondiale pour étudier le virus et en proposer une approche systémique, et il a fallu passer par un mécanisme de vote entre les états qui a d’autant retardé une réponse sanitaire appropriée et consensuelle.

En dehors des modalités d’évaluation et d’action de l’OMS, comprenant un élément temporel pénalisant évident, il existe également à l’échelle internationale un mécanisme, élaboré dans les années 80, pour l’évaluation et l’intervention rapide en cas d’utilisation suspectée ou avérée d’armes chimiques, bactériologiques (biologiques) ou à toxines. Tout état membre des Nations Unies peut en effet saisir le Secrétaire Général et, en accord avec des modalités et procédures pré-définies et selon un fichier d’experts et de laboratoires fournis par les États Membres, demander une enquête immédiate. La variable politique et de désaccord multilateral devient idéalement obsolète.

Dans un article datant de juillet-août 2022 consacré à l’amélioration des moyens de détection d’une pandémie ou de traitement d’une urgence sanitaire, Angela Kane identifiait la nécessité de mise en place d’un mécanisme similaire d’évaluation permettant d’adopter une approche rapide, transparente, fondée sur des preuves et légitime aux yeux de la communauté internationale, comprenant la capacité permanente d’une équipe de scientifiques chargée d’intégrer et d’analyser en continu des données provenant de sources multiples, ainsi que la capacité de lancer des évaluations sur site si nécessaire. Au-delà des capacités scientifiques individuelles des états, ce mécanisme permettrait une action collaborative et possiblement plus rapide et efficace, mobilisant tous les moyens disponibles y compris financiers, actant comme une police d’assurance pour tous.

Cette proposition s’accorde avec le rapport publié en septembre 2021 par les Nations Unies, Notre Programme Commun, dans lequel est notamment pris en compte la nécessité de mettre en place une plateforme d’urgence sanitaire.

Our Common Agenda, United Nations, http://www.un.org

Le Joint Assessment Mechanism, présenté ici par Angela Kane, permettrait donc au Secrétaire Général de prendre la décision de lancer une action rapide sans pré-validation de l’ensemble des états membres, et d’assurer que celle-ci soit reconnue comme scientifiquement juste, sans risque de dissémination de tout forme de désinformation.

Dr Wilmot Godfrey James insiste lui aussi sur la nécessité de rapidité dans la réponse face à une évènement tel que celui de la Covid-19, qu’il soit d’origine naturelle ou non.

Et pour cela, il faut pouvoir être en mesure de mettre en place une veille sanitaire. C’est ce que le Dr Dennis Caroll, ancien directeur de l’unité de lutte contre la grippe pandémique et autres menaces émergentes de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), et son équipe ont proposé en créant le Global Virome Project. Parallèlement, le projet Prevent Epidemics, dirigé par le Dr Tom Frieden, de l’organisation Resolve to Save Lives, propose le mécanisme 7-1-7 : 7 jours pour détecter l’émergence d’un pathogène infectieux – 1 jour pour notifier les autorités publiques sanitaires afin lancer une étude – 7 jours pour proposer une première réponse.

La communauté scientifiques possède donc déjà l’ensemble des connaissances et des technologies pour analyser, évaluer et calibrer une réponse mais la communauté internationale ne dispose pas aujourd’hui d’un mécanisme collaboratif efficace et rapide, dépositaire d’une autorité morale non controversée, permettant d’éviter de répéter les erreurs et délais rencontrés, encore aujourd’hui, dans le traitement de la Covid-19.

Contraintes et possibles limitations à une collaboration mondiale

À la question de savoir si le monde était aujourd’hui confronté à l’émergence d’un pathogène d’origine inconnue, serions-nous en mesure de mieux répondre que lors de l’émergence du coronavirus il y a trois ans ?

Angela Kane pense que l’expérience récente de la Covid-19 devrait favoriser, globalement, une capacité de réponse plus rapide en respect de la mortalité et du coup économique que celle-ci a engendré, et de souligner notamment la rapidité avec laquelle les laboratoires ont été en mesure de proposer des vaccins. La composante “secteur privé” est d’ailleurs d’importance car dans le domaine des biosciences, les avancées et les possibles influences sont telles que l’investissement dans le domaine de la prévention du risque qui pourrait en émaner est aussi primordial et doit être pris en compte par les gouvernements.

Mais Dr Wilmot Godfrey James s’interroge sur la confiance du public en la science, et l’influence de certains détracteurs, y compris au plus haut niveau de représentation politique qui a retardé voire parfois empêché la mise en application de la réponse sanitaire, et suggère une étude et meilleure compréhension des mécanismes sociaux qui ont joué lors de la pandémie, tant en termes de communication du message sanitaire que du comportement sanitaire à proprement parlé et donc de progression de l’épidémie.

Il apparait en effet crucial d’adopter une approche multidisciplinaire, au-delà de celle purement médicale. La composante sociétale (anthropologique, culturelle et d’architecture sociale) est d’importance, comme cela a pu jouer lors de l’épidémie d’Ebola dans un pays où la tradition veut qu’on lave le corps du défunt. Mais aussi d’assurer le respect de ceux qui sont sur le terrain, ont la connaissance requise et comprennent les mécanismes mis en place et qui fonctionnent auprès des populations locales.

Mais comment dépasser les obstacles politiques et de gouvernance des pays ?

En matière de géopolitique, Angela Kane reconnait que le défi est bien plus problématique, et qu’en effet le mécanisme d’intervention géré unilatéralement par le Secrétaire Général des Nations Unies pourrait être LA solution. Mais clairement, même dans le cadre de l’article 99, le Secrétaire Général a rarement utilisé ce mécanisme, notamment en respect de l’influence de certains états membres…

“Facts win the days” dit Angela Kane

La légitimité du JAM reposant uniquement sur la connaissance et les faits scientifiques, le Secrétaire Général serait en mesure de faire intervenir une équipe de scientifiques préalablement reconnue et approuvée, sans requérir l’approbation des divers états membres le moment venu, et dépositaire de l’autorité requise pour permettre l’application de la réponse adéquate.

Dr Wilmot Godfrey James quant à lui suggère la création d’une nouvelle branche de la diplomatie, celle de la santé, avec une génération de diplomates experts en leur domaine, et donc capables de dépasser la donne géopolitique. Il fait remarquer que les scientifiques communiquent toujours entre eux, quelque soit la situation géopolitique, d’une manière ou d’une autre, mais manquent d’influence dans le débat politique. Il devient donc impératif de créer une nouvelle plateforme de communication scientifique entre les pays, au sein des instances diplomatiques (ambassades, instituts et organisations internationales) et d’en développer les fondations dans le cadre de programmes universitaires.

Les solutions sont à porté des décisionnaires. Combien de temps cela prendra-t-il pour qu’elles soient adoptées et fonctionnent avant la prochaine urgence sanitaire ? Rien n’est moins certain et Angela Kane de reconnaître que tout cela prend un temps qui semble infini, qu’elle ne voit pas d’échéance à moins de trois ans, notamment dans le contexte international tendu actuel.

* Crédit photo de couverture de l’article : HelenJank